Texte / École et religions en question



Au printemps 2015, après la lecture du dossier sur l’école et les religions paru dans le bulletin de l’association vaudoise des parents d’élèves (apé-vaud) du mois de mai 2015, j’ai commencé à rédiger le texte qui va suivre. Je m’apprêtais à le publier quand les attentats parisiens de novembre sont survenus. Après ceux de janvier commis selon les mêmes croyances, ces attentats soulevèrent, après la douleur, des questions similaires. Le dossier de l’apé-vaud s’est alors révélé être encore plus dans le fil de l’actualité troublante de cette année 2015. J’ai apprécié dans ce dossier l’éclairage apporté sur un sujet délicat et méconnu du fonctionnement de l’école vaudoise. En tous cas, plus délicat et moins connu que l’enseignement des mathématiques ou de la gymnastique.

Il y est indiqué à plusieurs reprises, et dès l’édito de Mme de Kerchove (présidente du comité cantonal de l’apé-vaud), que la liberté de croyance et de conscience relève de la sphère privée, mais que l’école, par la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) et le plan d’études romand (PER), a l’obligation d’enseigner l’éthique et les cultures religieuses. Dans le dossier est relevé aussi que la chose n’est pas simple dans une société comportant des communautés religieuses différentes mais historiquement construites par la ou plutôt les cultures chrétiennes. La chose se complique même par la nécessaire neutralité demandée à des enseignants qui eux-mêmes bénéficient, en tant qu’individu, de la liberté de croyance et de conscience.

Il y a pourtant un pan de la problématique qui me semble faire défaut dans ce dossier car y sont associées croyance et religion. Or, toute croyance n’est pas religieuse. Il existe des croyances en dehors de toute religion. Croire qu’un miroir brisé apportera sept ans de malheur est de la superstition. Croire qu’un médicament nous guérira d’une maladie est un effet placebo. Croire en la bonne fée ou au père Noël est naïveté et pensée magique spécifiques à l’enfance. Croire au magicien est de l’hallucination. Croire en la réussite d’examens scolaires est de l’espérance. Croire en la parole du parent, de l’enseignant ou du prêtre est du même ressort, la confiance, mais selon des dispositions différentes.

Croire, comme faire ou être, est un verbe polysémique. Il englobe plusieurs concepts qu’il s’agit de distinguer pour mieux les appréhender et les comprendre. Le verbe croire ne devrait être utiliser que pour un concept spécifique: avoir la certitude d’une vérité intangible. La certitude étant l’absence de doute; la vérité le lien entre une pensée et le réel; l’intangibilité ce qui ne peut pas être modifié.

Si l’apprentissage est pour « connaître, comprendre et respecter », dixit Mme de Kerchove, alors il faut distinguer la croyance du religieux. Si toute religion englobe un système de croyances et de rituels, ne traiter les croyances et les rituels principalement que dans leur dimension religieuse, ne permettra pas de faire cette distinction. Il me semble plus prometteur en termes de connaissance, de compréhension et de respect de considérer la croyance d’abord comme un état psychique, un processus mental et non comme un phénomène social. Ce qui permettra de comprendre le concept de la croyance comme intérieur à nous et à chacun indépendamment de toute organisation sociale, de groupe, de communauté ou de culture en l’abordant par le biais de la discipline la mieux à même pour cela : la psychologie.

S’il est peu habituel d’enseigner la psychologie à l’école, on ne peut pas réfuter l’enseignement de la psychologie sous prétexte de complexité. Les mathématiques, les langages, les arts, les religions sont aussi des domaines particulièrement complexes, mais, les expérimentant tout les jours, nous en sommes plus ou moins proches. Pourtant, la psychologie, soit l’étude de la psyché humaine, nous est très proche dès le plus jeune âge, puisque c’est par nos comportements et nos processus mentaux que nous sommes au monde. La psychologie permet d’expliquer ce qui souvent nous est impulsif, parfois intuitif, dans nos comportements. nos enfants apprennent très tôt qu’après avoir fait une bêtise (comportement) l’adulte réagit (autre comportement) et qu’ils apprennent alors à faire le lien (processus mentaux) et à ne plus faire de bêtise (du moins plus la même…). Mais ont-ils compris ce qui c’était passé en eux sur le plan cognitif et émotionnel, autrement dit psychique? Probablement pas et c’est là que la connaissance divulguée par la psychologie leur permettrait de comprendre, en partie, ce qu’ils sont eux-même et ce que sont les autres dans le monde qui les entourent.

Déconnecter croyance et religion, permettrait d’objectiver le concept de croyance et, par là, de le libérer des états émotionnels très prégnants quand il est associé aux phénomènes sociaux que sont les religions. À titre d’exemple, la peur de l’autre peut amener non seulement à croire qu’il nous veut du mal mais aussi que tous ses semblables ont la même intention à notre égard. C’est une généralisation bien naturelle et même nécessaire en milieu hostile mais dommageable pour une vie sociale pacifique. Apprendre à ne pas généraliser à partir de quelques expériences individuellement marquantes mais somme toute rares c’est surpasser la naturel par le culturel, la peur par le courage, l’ignorance par la connaissance. Hélas! telle déconnexion n’apparait pas dans la LEO ou le PER, au contraire même. Et la psychologie n’est pas une matière enseignée alors que ce terme y est souvent présent.

Séparer croyance et religion participerait également à mieux expliquer ce que sont des actes de violence psychologique (LEO 115 et RLEO 100), particulièrement ceux liés à des croyances culturelles dans les domaines ethnique, économique, d’origines, d’apparence, de constitution et d’autres, dont le religieux. Car croire que les être humains à la peau noire ou à la peau jaune sont moins bien que ceux à la peau blanche est, bien sûr, du racisme, mais est surtout lié à une croyance. Croire que les filles sont plus bêtes que les garçons est, bien sûr, du sexisme, mais est aussi lié à une croyance. Croire que les musulmans sont tous des terroristes est, bien sûr, de l’islamophobisme, mais est aussi lié à une croyance. Les exemples pourraient être ainsi multipliés jusqu’à plus soif.

Pourtant, le concept de croyance se retrouve à plusieurs reprise dans le PER, mais jamais dans le champ de la psychologie à part, peut-être seulement, concernant la maturité professionnelle, branche sciences sociales, où la croyance est considérée comme un phénomène sociale et historique ou un sujet philosophique. Ailleurs dans le PER, le concept de croyance est associé au domaine du mythe dans l’enseignement de l’histoire selon le lexique du domaine sciences humaines et sociales. Dans le cadre de la compréhension de l’écrit inscrit dans l’enseignement du français, il est proposé de distinguer les arguments liés à une croyance qui, semble-t-il, n’est pas forcément reliée au phénomène religieux, mais cette distinction n’apparait que dès la 10ème année dans le domaine spécifique de l’analyse de textes français. Comme si la croyance n’était que sociale et fictive, alors que c’est un processus mental individuel et concret que la psychologie permet d’étudier.

Quant au concept de psychologie, il se retrouve à plusieurs reprises et n’est pourtant, comme déjà dit, jamais enseigné en tant que discipline. La psychologie n’apparait que dès la 9ème année dans l’appréciation et l’analyse des productions littéraires diverses lorsqu’il s’agit d’apprécier la transmission d’une expérience humaine dans un texte par l’analyse de la psychologie des personnages. Dans la transmission des savoirs par le texte (compréhension de l’écrit dès la 11ème année), on se soucie de repérer la source et la validité de l’information dans sa dimension psychologique sans pour autant avoir enseigné préalablement ce qu’est cette dimension. On retrouve ailleurs la notion d’intégrité psychologique mais dans le lexique corps et mouvement lors de la définition de la sécurité en éducation physique; ce qui n’est toujours pas un enseignement de la psychologie.

En fait on ne rencontre la psychologie que dans l’enseignement des langues, dans le domaine particulier de l’analyse des textes, comme si la psychologie n’était qu’une grille de lecture extérieure à notre propre expérience et applicable aux seules créations littéraires. C’est caricatural mais c’est ce qui ressort d’une recherche du mot clé psycho* sur le site du PER. Même s’il est vrai que la psychologie est enseignée comme branche spécifique de la maturité professionnelle « santé et social », c’est là un enseignement divulgué aux seul-e-s élèves qui s’orientent vers l’étude des sciences sociales.

Pourtant, la notion de psychologie figure dans les textes réglementaires mais hors du champ didactique. Ainsi, en vertu de l’article 44 de la LEO l’établissement peut traiter les données personnelles comme les besoins particuliers en matière de pédagogie différenciée, notamment de psychologie. L’article 48 permet même à des psychologues d’intervenir dans l’établissement scolaire. Bien sûr en pédagogie spécialisée la psychologie est présente (LEO art. 101). Chaque élève a droit, à juste titre, à une protection particulière de son intégrité physique et psychique (leo art. 116), mais explique-t-on en quoi consiste cette intégrité, en quoi elle est nécessaire à l’être et en quoi elle évolue, particulièrement dans le cadre scolaire des apprentissages cognitif, émotionnel et somatique?

Concernant le concept de religion, le PER (domaine shs) et le RLEO (art. 4) mélangent les concepts d’éthique et de religion et tendent à les rendre indissociables l’un de l’autre, comme si, hors religion, il n’y avait, in fine, ni éthique, ni morale, ni règle de vie commune, ni relation au monde autre que transcendantale, à tout le moins spirituelle. Or, si l’éthique et le religieux sont affaire, entre autres, de morale et de vivre ensemble, l’éthique ne nécessite ni croyance ni divinité. Réduire l’éthique à sa forme religieuse, ou plutôt ses formes religieuses, c’est faire fi des fondements analogues de toute société humaine et, donc, créer une distinction entre des groupes humains, des communautés religieuses dans ce cas, avec le risque d’une hiérarchisation et d’une instrumentalisation. Ce sont les cultures qui sont, en partie, religieuses et non pas l’éthique.

N’oublions pas que la religion c’est, peu ou prou, de rendre un culte à une entité suprême dirigeant le monde. Y associer l’éthique, en tant que discipline d’étude de la morale, c’est s’inscrire ab initio dans un univers divin. Mais comme le divin est du domaine de la croyance et que la croyance est l’absence de doute quant à la vérité, rester confessionnellement neutre, comme l’est l’enseignement vaudois (LEO art. 9), est problématique. En d’autres termes, comment rester neutre, donc impartial, quand on est certain d’avoir raison (donc partial) et que, conséquemment, l’autre ne peut qu’avoir tort ?

En fait, si l’enseignement est neutre du point de vue religieux, il ne l’est pas du phénomène religieux. L’enseignement ne se détache visiblement pas du phénomène religieux et le considère même comme inséparable de l’exercice des facultés intellectuelles de l’élève. Mais bien avant le religieux, il y a le biologique. La vie, la maladie et la mort sont d’abord des phénomènes biologiques et psychiques (émotions, empathie), puis sociaux (institutions) et enfin symboliques (religions). L’erreur est de considérer ces phénomènes d’abord dans leur dimension symbolique comme le propose le PER.

Enseigner les religions et leurs applications sociétales passe inévitablement par la description de rites, de rituels, par exemple le jeûne présent à des degrés divers selon les religions. Pourtant, la notion de rituel, ne peut être réduite à sa dimension religieuse comme le propose le PER. Il est des rituels sans culte, sans religion mais qui renforce le vivre ensemble. Par exemple, que chaque matin élèves et enseignant-e-s se disent bonjour peut sembler une simple politesse. C’est en fait un rituel d’ordre moral qui renforce le respect réciproque et, partant, participe à la protection de l’intégrité physique et psychique de chacun-e. Il n’y a dans ce rituel nulle religion, nulle symbolique divine, ni même hiérarchique. Il y a d’abord la reconnaissance de l’existence de l’autre.

On pourrait même se demander si de réduire, du moins de rapprocher fortement, les notions de liberté, d’éthique, de croyance et de rites à la ou les religions ne viendrait pas perturber l’atteinte des buts de l’école défini à l’article 5 de la LEO, lorsqu’elle vise, notamment, à exercer les facultés intellectuelles de l’élève et à former son jugement et sa personnalité. Justement parce que l’exercice des facultés intellectuelles ainsi que la capacité de jugement et d’affirmation de sa personnalité impliquent la capacité d’être critique, de se poser des questions, donc de douter, donc de ne pas croire, afin d’évaluer et de choisir pour exister en tant que soi irréductible sans avoir la certitude d’une vérité intangible.

Mais alors, comment aborder ces notions de religion, de croyance, de psychologie et de comportement ? Peut-être faut-il commencer par le début: l’être naturel que nous sommes comme nous pouvons le voir tangiblement par la croissance de nos enfants. Partir de ce que nous sommes, notre nature, et de ce qui nous faisons, nos comportements. Comportements que nous avons tous, la plupart du temps inconsciemment. Puis d’essayer de comprendre ces comportements comme le proposent les travaux de l’éthologue Henri Laborit, notamment avec le très pédagogique film d’Alain Resnais « Mon Oncle d’Amérique » basé sur ses travaux. pour ensuite explorer, par la parole, ces états mentaux dans lesquels nous sommes, dans lesquels sont aussi nos enfants, qui sont liés aux émotions que chacun ressent et qui se dévoilent dans nos comportements. et, enfin, voir que, tous ensemble, nous formons des sociétés nécessitant règles de vie, morale, éthique et, parfois, religion.

C’est un peu rapide comme proposition. Elle demanderait un certain développement, mais aussi un débat pour la partager et la concrétiser. Mais cela peut être fait au sein même de l’école, car, comme vous le savez, l’intérêt premier de l’école est de lutter contre l’ignorance, terreau de la croyance, par la connaissance afin de comprendre et respecter. Afin de permettre à nos enfants de comprendre et respecter les autres, mais d’abord et surtout eux-mêmes.