Espace, Image, Texte / Périphérique, terre promise



Une route n’est, à priori, pas source de vie. À travers l’histoire, de nombreuses cités se sont pourtant développées le long des voies de communication terrestre. À l’exemple de ces villages d’Europe ou d’ailleurs traversés par un chemin de terre, de gravier, de pavés, d’asphalte. Ces rues centrales, artères souvent uniques étaient aussi les places du village, le lieu de la rencontre où les gens se racontent. Hélas!, l’accès à la mobilité individuelle à instiller dans ces espaces nourriciers de la vie publique le poison de la pollution et du danger. Alors on a inventé la route de contournement, la rocade, le périphérique. Et, contre toute attente, le boulevard périphérique parisien est devenu lui-même source de vie.

Le projet Périphérique, terre promise en témoigne. Ce projet regroupe une exposition, un livre et une web-app. Au travail photographique du collectif Babel, s’agrègent des textes, des vidéos et un blog éphémère. Partenaire via le site de crowdsourcing KissKissBankBank, j’apporte mon aide au financement du livre qui paraitra aux excellentes éditions h’Artpon. Et voici pourquoi.

Des projets photographiques de cette qualité, qui permettent aux êtres de se rencontrer, de se raconter, dans les méandres temporels et sensibles d’un ouvrage d’art, sont rares. Portés par le faisceau de six regards, de six dialectes photographiques, ceux qui s’ignorent, se croisent, se côtoient, se frôlent, s’accompagnent ou s’enlacent dans le présent rencontrent ceux qui œuvrèrent de concert à l’ouvrage dans la fraternité éphémère du chantier. Ces regards sont autant de facettes sur un monde en mutation, sur un monde qui bascule dans une métamorphose inattendue. Un monstrueux enchevêtrement minéral, stérile, engorgé d’un furieux fleuve de métal, devient ainsi le corps porteur de vigoureuses opportunités humaines.

Ces tonnes de pierre, d’acier, de ciment et de sueur distillée est la concrétisation des pulsions fantasmagoriques d’un génie fonctionnel monomaniaque où l’aveugle désire d’abrogation des distances et du temps étouffe dans l’amalgame bruyant et nauséabond des innombrables illusions de liberté. Ce boulevard, abnégation urbaine vrombissante, dédale oppressant, grouillant froissement d’une mélopée survivante, devient pourtant le lien poétique et énigmatique de tant d’âmes. Celles qui intriguèrent à la concrétion d’une boursouflure mémorable; celles qui le dos cassé, les bras enfourmillés, les peaux usés, ont agrégé les mille parties d’un serpent ondulant et tournoyant à l’infini; celles qui nourrissent le mycélium d’une circumnavigation toujours recommencée; celles qui bourdonnent, passant dessus, dessous, dedans, sans être emportées par le terrible vent décérébrant; celles qui s’immiscent, en parasites inquilinistes, dans les interstices d’un magma encore chaud. Tous ces êtres de chairs et d’esprit son liés par delà les époques; dans l’espérance d’un futur libéré; dans la présence critique et tendue d’un mirage lucide; dans un passé dubitatif en devenir.

Les images du collectif Babel forment le train apaisant d’un tumulte suspendu, offrent à voir la diversité des vies, des morts et des naissances, le télescopage physiologique et fructifiant des destinées, qui font battre et respirer, malgré tout, cet organisme de vivants qu’est le Périphérique, terre promise.