Image, Texte / Tous spectateurs



Exposer au Musée de l’Élysée n’est pas anodin. Depuis le début de l’exposition tous photographes!, déjà 44 des mes images y ont été projetées au public. En les multipliant par leur temps de passage à l’écran, je peux d’ors et déjà dire que j’ai exposé dans cette prestigieuse demeure de la photographie pendant deux minutes et cinquante-six secondes. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas grand chose, pas de quoi pavoiser ni s’enorgueillir.

Pourtant si à cette heure plus de 26’500 images ont été envoyées au Musée de l’Élysée pour y être exposées ce n’est certainement pas pour des prunes, c’est pour y être vues. Ni n’importe où, ni par n’importe qui. Mais que valent des images que les spectateurs n’ont pas vues? Et de même pour des textes non-lus?

Toutes rephotographiées

Après chaque projection, les photographes participant à l’opération reçoivent par courriel une vue d’installation comme preuve de l’exposition de l’œuvre. Cette rephotographie présente l’image projetée dans son environnement. Ainsi la cimaise-écran et, sur celle flanquée à gauche, la présentation du concept et le titre de l’exposition permettent de justifier du lieu d’exposition.

D’autres éléments composent ces vues, en haut de l’image, à l’arrière des cimaises, les coulisses. Tantôt éclairées, le plus souvent dans le noir, elles ne laissent pas deviner grand chose, tous au plus des murs et quelques bouts de bois. Comme je connais les lieux et que je suis architecte, je confirme qu’il y a là-bas derrière un conduit de cheminée et que la salle est celle des combles à la superbe charpente en bois.

En bas de la vue, un quasi triangle sombre, le sol – une moquette rase. Et, souvent, sur ce sol, une banquette vide, souvent. Rares seraient donc ceux qui regardent les images proposées par les plus de sept mille photographes? Du moins c’est ce que laisse supposer le champ de la vue prise par une petite caméra juchée à l’angle de la cimaise faisant face.

Mais hors champ voici donc que se révèlent trois chaises. Vides elles aussi, du moins lors de la prise de vue. On y voit déjà mieux la charpente. plus quelques autres panneaux d’exposition.

Hors-champ

Or, que valent des images non-vues? Je me souvient du film Lisbon story de Wim Wenders, tourné à l’orée du centenaire du cinéma. Entre autres péripéties, un cinéaste, dans le film, en arrive à filmer des images non-vues. Il se ballade dans les rues tenant sa caméra vidéo dans le dos. Puis, après être rentré de ses pérégrinations, stocke les cassettes sans même les visionner. À mes yeux critique d’un cinéma abscons, le réalisateur veut rendre au cinéma sa fierté d’être simplement des images en mouvement additionnées de son.

Car même si mes images sont exposées dans ce qui est généralement admis comme un haut lieu de la photographie, leur exposition ne vaut rien si personne ne les a vues. Si ce n’est moi et ceux qui prennent le temps de les visionner. Toutes les images du monde ne valent que par nos yeux. Sinon elles ne sont que l’agrégation temporaire de quelques grosses poignées d’atomes.

Si j’en juge par l’habituelle fréquentation des musées et par la présence, certifiée par les vues d’installation, de spectateurs au moment où mes images sont projetées, je ne peux que relativiser encore plus la valeur de mes images. Personne ne vient spécialement pour moi (d’ailleurs comme n’est pas connu l’heure de passage des images, il serait vain de venir spécifiquement pour certaines), alors me voilà content de pouvoir montrer une fraction de ce qui est exposé à quelques yeux consentants.

En restera le film composé de toutes ces images furtives, mais pas anonymes, que nous visionneront lors des longues soirées d’un bientôt rare hiver.