Espace, Image, Texte / Photographie de synthèse et architecture



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Du 1er au 3 février 2011 c’est tenu à Monaco l’événement européen pour la simulation et la visualisation 3D: Imagina. À cette occasion, j’ai eu l’opportunité de faire une intervention le premier jour lors de la session consacrée à l’architecture. Ma conférence était accompagnée de quelques dizaines d’images et animations. À la suite de mon intervention un court débat a eu lieu dans la salle sur la problématique du photoréalisme dans la représentation graphique de l’architecture avec notamment Frédéric Genin, architecte et animateur de la session et Bernard Reichen, architecte, urbaniste et « grand témoin » de la session.

Avant-propos

En quoi, dans le domaine de la représentation graphique de l’architecture, l’imagerie de synthèse est en fait de la photographie dans l’espace numérique? Nous allons voir quelques pistes issues de la pratique photographique notamment pour apporter du sens, un langage à cette photographie de synthèse dans la représentation graphique de l’architecture. (fig. 00)

Photographie de synthèse

En quoi l’imagerie de synthèse en architecture est en fait photographie de synthèse? L’imagerie de synthèse reprend certains éléments de la photographie. Comme dans un studio photographique, il y a une scène (fig. 01) de prise de vue avec: objets (murs, chaises, personnages, etc.); matériaux (couleurs, réflectivité, transparence, profusion de détails, etc.); lumières (ponctuelle, parallèle, conique, surfacique, etc.).

Il y a aussi l’appareil photographique ou la caméra (fig. 02), souvent symbolisée comme telle dans l’imagerie de synthèse: boîtier; objectif; capteur (argentique ou numérique), la taille de l’image de sortie en imagerie de synthèse. À noter que boîtier et objectif ne sont pas distingués en imagerie de synthèse.

Voyons ce qui caractérise la photographie sur le plan technique, ou plutôt quelles sont les limites techniques de la photographie (fig. 03): boîtier (obturateur (par ex. rideaux), temps d’exposition; décentrement/bascule (tilt/shift) (rayon lumineux ni centrés ni perpendiculaires au capteur)); objectif (lentilles en groupes plus ou moins complexes; longueur focal/angle de vue; diaphragme (quantité de lumière à travers l’objectif)); capteur (grain/pixel (sensibilité)).

Et puis il y a bien sûr le trinôme de l’exposition (fig. 04), que l’on rencontre plus rarement en imagerie de synthèse, car habituellement peu considéré sauf par les photographes: ouverture du diaphragme; temps d’exposition (appeler faussement «vitesse»); sensibilité.

Dans l’imagerie de synthèse on retrouve donc le concept de caméra avec un angle de champ ou angle de vue. Parfois seule la longueur focale est indiquée, or l’angle de vue change en fonction du rapport longueur focale/format du capteur (ou de la taille en pixel de l’image calculée) (fig. 05). En fait, seul l’angle de champ a une représentation graphique pertinente; indiquer la focale permet de faire encore plus semblant de manipuler un appareil photographique mais en oubliant qu’on ne travaille plus avec un format de capteur 24×36. Déjà qu’en photographie il n’est plus très pertinent de travailler par focales, mais en imagerie de synthèse en plus cela ne facilite pas le travail.

On a vu qu’on retrouve également en commun la scène, avec objets, matériaux et lumières. Mais comme on ne peut pas reproduire le monde dans son entier et ses détails, cette fois la scène en imagerie de synthèse se limite en général à ce que l’on veut photographier sans mettre plus de détails qu’il ne faut. En prenant en compte bien sûr les reflets et les surfaces nécessaires aux éclairages indirects, c’est-à-dire quand les surfaces deviennent elles-mêmes sources lumineuses.

Mais en imagerie de synthèse les limites techniques de la photographie matérielle dans un monde réel n’existent pas, alors que ces limites ont créé une esthétique porteuse de sens. Introduire ces limites dans l’imagerie de synthèse permettrait d’apporter des éléments de langage dans la photographie de synthèse. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, voilà longtemps que l’imagerie de synthèse a introduit l’interaction entre lentilles et rayons lumineux avec les halos de flare (fig. 06). Cet aberration optique, qui était évitée le plus possible dans le monde réel car considérée comme un défaut (fig. 07), était dans l’imagerie de synthèse la preuve d’une virtuosité de programmation et un effet très prisé, bien que souvent maladroitement, pour donner un effet de réel (fig. 08). C’est à dire, justement, d’utiliser une limite technique de la prise de vue matérielle pour donner l’impression que s’il y a des halos dus à l’effet de flare c’est qu’alors un véritable objectif a été utilisé et donc que c’est une image du monde réel qui est donnée à voir. Cet effet de réel est même poussé à son paroxysme dans le film Star Trek de J. J. Abrams (fig. 09): dans pratiquement chaque plan (réel ou de synthèse) il y a des halos de flare.

Exemple de langage photographique

Voyons un exemple d’une limite technique de la photographie comme initiatrice de sens. Voici une photographie de formule 1 au grand prix de Monaco en 2009 (fig. 10). On sait qu’une voiture de ce type va vite, mais il est difficile, dans l’image, de lire cette vitesse. Non pas de savoir à quelle vitesse elle roule, mais simplement si elle va vite ou pas. Voici une autre image (fig. 11), de Jacques Henri Lartigue, qui a environ une centaine d’années. Bien qu’on ne sait toujours pas à quelle vitesse roule cette voiture, quoique elle roule sûrement moins vite qu’une formule 1, on peut lire sur cette image un effet de vitesse. Cette image exprime l’idée de vitesse. Cette photographie a longtemps été considérée comme ratée, pourtant elle est très expressive et cette expression est du justement à une limite de la technologie photographique de l’époque.

Je m’explique: l’obturateur est à rideaux horizontaux. La fente (fig. 12) entre les rideaux qui laisse passer la lumière se déplace de bas en haut. Pendant le déplacement des rideaux, la voiture aussi se déplace, elle va vers la droite (fig. 13). Comme l’appareil photographique se déplace aussi vers la droite, les personnages au fond (fig. 14) semblent se déplacer vers la gauche. Tous ça mis ensemble (fig. 11), on a une photographie à la géométrie inhabituelle mais exprimant l’idée de vitesse. Un autre effet plus connu est le flou de mouvement ou «filé» (fig. 15). Cet effet est aisément réalisable en imagerie de synthèse (fig. 16).

Photoréalisme

L’un des buts principaux de l’imagerie de synthèse en architecture (fig. 17) est de reproduire l’image d’une réalité à venir. Comme nous n’avons de modèle de la réalité principalement que des photographies et qu’une scène est généralement construite en fonction des images qui en seront faites, l’imagerie de synthèse tend non pas au réalisme, mais au photoréalisme. Et comme l’imagerie de synthèse permet d’aller au-delà des contraintes de la réalité (par exemple, il ne pleut jamais spontanément dans un espace numérique), cela devient de l’hyperréalisme, voire de l’onirisme. On est passé du réel au rêve via la photographie.

Image de synthèse

On a vu par quelques éléments (caméra, scène, flare, photoréalisme), que l’imagerie de synthèse et son esthétique sont directement inspirées de la prise de vue et de l’esthétique photographiques. Je veux dire en cela que si l’imagerie de synthèse tend à reproduire les règles physiques et particulièrement optiques de la réalité c’est pour créer des images qui semblent être des photographies issues du monde réel. On recrée, approximativement, le monde réel dans l’espace numérique et on en prend des images perspectives réalistes, autrement dit des photographies.

Quand elle n’est pas réduite au photoréalisme, l’imagerie de synthèse se rapproche d’une esthétique plus sobre, plus schématique. Elle se rapproche du dessin animé, du cartoon. Et depuis quelques années, l’industrie cinématographique aidant, elle acquiert son esthétique propre (cf. Toy Story (fig. 18), Final Fantasy (même s’il y a la volonté affichée de réalisme, mais en observant bien on y décèle une esthétique propre, et de synthèse) (fig. 19), Clone Wars (fig. 20), Moi Moche et Méchant (d’ailleurs nominé pour les Imagina awards)) (fig. 21). On le voit, ce sont des esthétiques avec plus ou moins de réalisme, mais surtout d’une grande qualité et d’une grande originalité.

Pour revenir au photoréalisme en représentation graphique de l’architecture, sont évitées en imagerie de synthèse les contraintes induites par les limites techniques de la photographie matérielle (par ex. la profondeur de champ). Sont également évitées les contraintes contextuelles (gravitation (beaucoup d’animation ressemble au vol d’une mouche), il n’y a pas de reflet du photographe dans les miroirs) (fig. 22, animation non disponible), pas d’intempéries nuisibles (il fait toujours beau et il n’y a plus d’ubac, c’est à dire que le soleil éclaire aussi la face nord)). Avec l’absence de ces contraintes, il est aisé de faire de l’hyperréalisme. Et a fortiori des images de rêve.

À mon avis cela est particulièrement dû au fait que l’imagerie de synthèse en architecture est souvent vue comme un objet de marketing qui s’inspire de l’ «entertainment» cinématographique et de la photographie publicitaire. C’est-à-dire que les effets spéciaux permis par l’imagerie de synthèse photoréaliste au cinéma permettent de créer des univers fantastiques qui ont toutes les apparences de la réalité. Nous voilà bluffés et séduits par ces merveilleux films. Et comme le marketing cherche d’abord à séduire, autant faire rêver en proposant des architectures sublimées par l’imagerie de synthèse; c’est plus vendable. Cela produit à chaque fois de belles images mais, à force, certaines images deviennent aussi banales que des publicités pour de la lessive (fig. 23 à fig. 34). L’imagerie de synthèse n’est donc que rarement utilisée comme un outil de dialogue ou pédagogique mais comme un outil au mieux d’émerveillement, au pire de propagande. A contrario vous connaissez peut-être le travail du bureau danois d’architecture BIG qui a utilisé de manière remarquable la vidéo réelle et l’imagerie de synthèse (fig. 35, animation).

Pour revenir aux belles images ensoleillées, elles peuvent se comprendre pour un concours d’architecture, où il y a rarement un dialogue entre les concourants et le jury. Ou dans la vente qui promeut des produits par le rêve et la symbolique plutôt que par la réalité. Mais l’architecture ne me semble pas faite que de concours et de vente, c’est le plus souvent un dialogue entre architecte et client, entre architecte et usagers (qu’ils soient publics ou privés), bref, entre partenaires.

On comprend aussi pourquoi la «charte d’éthique de la 3D» (fig. 36), signée ici l’année passée, a établi des règles de déontologie visant notamment, je cite, à «créer des images de synthèse ou des scènes tridimensionnelles qui ne soient pas susceptibles d’influencer à son insu le décideur, le maître d’ouvrage ou le public». On voit par là un certain malaise en effet face aux possibilités de l’imagerie qu’offre l’absence des contraintes matérielles du monde physique de notre réalité. Il y a clairement une volonté de vérité, du moins de véracité. Cette question en photographie s’est déjà posée; par exemple, l’espace d’une salle photographiée semble souvent plus grand que la salle elle-même vue à l’œil nu (fig. 37). Sans parler des illusions optique et spatiale telle la chambre d’Ames (fig. 38) qui est construite de manière à sembler «carrée» depuis un point de vue unique et qui fausse le rapport d’échelle entre les personnages et la pièce. Pourtant, à mon avis et sans vouloir blesser personne, cela me paraît un vœux pieux et naïf de ne vouloir que la véracité d’une image ne tienne que dans la déclaration d’intention, dans l’engagement solennel du ou des créateurs de l’image, sachant que dans l’imagerie de synthèse tout est construit et tout est manipulable.

À mon sens, il faut prendre l’imagerie de synthèse pour ce qu’elle est: une affabulation. Et tenter, dès lors, d’introduire une certaine codification, un certain langage dans la création d’images de synthèse. Voir comment rendre crédible l’imagerie de synthèse dans l’intention de montrer une possible vérité à venir, une réalité virtuelle comme l’est le projet d’architecture.

Perspectives de codification

Premièrement, en se basant sur la photographie, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Nous en avons déjà vu deux: le flare comme indication de la source de lumière (par exemple le soleil) et le filé ou flou de mouvement comme indication des éléments mobiles de la scène (personnages et véhicules en général).

Il y a aussi la profondeur de champ (fig. 39) qui permet de focaliser le regard sur une partie de la scène ou d’exclure un élément en premier et/ou arrière plan (fig. 40).

Bien évidemment il y a le décentrement, technique typique de la photographie d’architecture qui permet de faire que les verticales d’un bâtiment le sont aussi dans l’image en décalant le centre optique (fig. 41). néanmoins cette vision est idéalisée par rapport à l’expérience de notre propre vision. Les bâtiments semblent hors échelle malgré la présence de repères comme des personnages (fig. 42).

Une technique concomitante est la bascule, technique très à la mode en photographie, mais qui permet comme la profondeur de champ de concentrer le regard sur une partie de l’image (fig. 43). En outre elle donne un effet maquette au paysage, puisque, lorsqu’on regarde une maquette, notre œil est très proche de l’objet et ne peut accommoder que sur une toute petite partie de celui-ci. C’est un effet aisément applicable en imagerie de synthèse (fig. 44 et fig. 45).

Une technique à prendre en compte est le panoramique par balayage qui permet de montrer l’espace photographié jusqu’à 360° (fig. 46). Mais avec les courbures engendrées et sa longueur, son usage n’est pas facile (fig. 47). Néanmoins il est utilisé pour construire des objets interactifs comme nous le verrons plus loin.

Il y a aussi une technique toute simple, c’est de reculer le point de vue en resserrant l’angle de vue. En photographie réelle, les murs souvent empêchent le photographe de reculer. Pour photographier l’espace il doit utiliser un objectif à grand angle de champ, ce qui fait paraître l’espace plus grand qu’il n’est comme nous l’avons vu et aussi d’introduire des effets perspectifs qui ne correspondent pas à l’expérience de notre vision (fig. 48). Mais en imagerie de synthèse, rien n’empêche de reculer le point de vue car les murs ne sont plus un obstacle (fig. 40).

En se basant sur la photographie scientifique, pourrait être introduit dans la photographie de synthèse un repère d’échelle (fig. 49). Bien qu’une photographie est une perspective et que, par définition, on ne peut relever des dimensions aussi précisément que sur un plan, un repère permet au spectateur de ce faire une idée plus juste de la grandeur d’un bâtiment. Lorsque la photographie était encore considérée comme une servante des arts, on retrouve en photographie d’architecture des repères d’échelle (fig. 50). Par exemple une cane posée contre un pilier (fig. 51) ou, plus explicitement, un repère gradué sur une ruine (fig. 52), comme cela se fait d’ailleurs en archéologie (fig. 53). Peut-être aussi pourraient être explorés des rendus en «fausses couleurs».

Alors bien sûr on peut ajouter des personnages (fig. 54). C’est un élément courant. On retrouve même beaucoup plus de personnages en imagerie de synthèse qu’en photographie réelle. Mais c’est un élément difficile à mettre en place, d’une part parce que souvent ils sont implantés en post-production et leur échelle a un rapport arbitraire avec celle de l’architecture représentée et d’autre part parce que les personnages peuvent accaparer le regard au détriment de l’architecture. Il y a la solution de les rendre fantomatiques (fig. 55), mais dans une image photoréaliste cela est parfois étrange. Les personnages sont également utilisés en animation avec la difficulté supplémentaire de gérer leur temporalité (fig. 56, animation non disponible). Toujours est-il que la problématique des personnages dans la représentation graphique de l’architecture et particulièrement dans la photographie réelle et celle de synthèse est un vaste sujet qui dépasse très largement le cadre de mon intervention.

Lorsqu’une image perspective est présentée, la difficulté est de pouvoir la situer dans l’œuvre architecturale. Si on prend l’exemple de certains jeux vidéo où il est nécessaire que le joueur puisse se situer, un plan est souvent intégré (fig. 57 et fig. 58). Or, dans la représentation de l’architecture il serait bienvenu qu’apparaisse plus souvent ce type d’indication pour permettre au spectateur de se situer dans l’espace construit (fig. 59 et fig. 60). À tout le moins que le nord soit indiqué.

Un élément très intéressant issu directement de l’imagerie de synthèse est l’occlusion ambiante (fig. 61). C’est un procédé qui vise à assombrir les angles d’une scène, c’est-à-dire les angles formés par les différents objets d’une scène. Ce procédé permet de simuler le fait qu’une surface reçoit moins de lumière dans ses zones proches d’une autre surface. Or, par ce procédé, la scène acquiert une luminosité uniforme tout en révélant mieux la tridimensionnalité de l’espace que ne le fait un rendu au trait. Comme pour une maquette en carton ou en plâtre, les couleurs et textures des matériaux sont neutralisés pour mieux révéler les relations spatiales (fig. 62).

Enfin, avec le développement des accès nomades à Internet, il serait intéressant d’introduire plus d’interactivité dans la représentation graphique de l’architecture, même si l’interactivité ne s’imprime pas sur papier glacé et que sa fabrication est plus complexe et plus chère. La plus simple des interaction, c’est l’animation avec curseur de contrôle. Par exemple la représentation de la course solaire, outil basique de la projetation, peut être visualisée soit sur une représentation non photoréaliste (fig. 63, animation non disponible), soit sur une représentation photoréaliste (fig. 64, animation non disponible). L’intérêt est de pouvoir «se promener» dans une journée pour comprendre «le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière».

En parlant de promenade, avec des images panoramiques il est possible de construire des objets interactifs qui ne demande pas une technologie sophistiquée comme pourrait le demander une immersion virtuelle. Il s’agit du QTVR, acronyme de QuickTime Virtual Reality. C’est une technologie qui a une quinzaine d’années et qui n’est pas toujours facile à mettre en œuvre, mais qui, à mon avis, reste d’actualité pour la représentation graphique de l’architecture (fig. 65, animation non disponible). Bien sûr on peut aussi avoir ces promenades sur la base d’une vidéo à 360° composée d’une succession de panoramas sphériques. Celle-ci est simplement un test de yellow Bird (fig. 66, animation plus disponible), une société néerlandaise qui applique le concept du QTVR à la vidéo réelle (fig. 67, animation plus disponible).

Voilà, je vous ai présenté ma vision de la photographie de synthèse appliquée à la représentation graphique de l’architecture et de son potentiel en termes de communication. Je vous remercie de votre attention.

Imagina, Monaco, 1er février 2011